#32 - Naviguer entre la bienveillance et la fourberie 👀
D'une ville sainte au désert, en passant par une ville bleue. Difficile de savoir sur quel pied danser, pour démêler la bonté désintéressée des beaux parleurs malveillants.
"Vis comme tu devais mourir demain. Apprends comme si tu devais vivre toujours." - Gandhi
J213 - Lundi 24 avril
Je suis toujours dans la petite ville de Pushkar, j’ai dit adieu à mon ami Sam. J’en profite pour prendre un jour off. Pas de visite mais du repos. Cela fait aussi du bien de se retrouver seul. C'est dans ces moments que je recharge les batteries.
Je déjeune à l'étage d'un petit restau local.
Un petit arrive avec sa balle et sa batte de cricket et m'invite à jouer avec lui.
J214 - Mardi 25 avril
Je continue ma petite routine dans cette charmante petite ville et je grimpe à pied en haut d'une montagne. J’aime toujours autant ces longues marches introspectives en nature, même si l’Inde est moins propice à ce type d’activité.
J215 - Mercredi 26 avril
J'arrive à la station de bus pour aller à Jodhpur. Comme souvent, - pardonnez-moi l'expression - c'est un bordel sans nom.
Un indien d'une quarantaine d'années cherche également à se rendre à Jodhpur. Il me prend alors sous son aile et m'indique où est le bus. Je m'assieds à l'avant. Puis, il vient même me taper sur l'épaule pour que je vienne m'asseoir à côté de lui. Je trouve son attention attendrissante.
Il ne parle pas un mot d'anglais, mais le simple fait qu'il m'ait aidé a créé une petite complicité. C'est beau, l'altruisme.
Par ailleurs, c'est un véritable capharnaüm dans le bus, tant il est bondé. Étrangement, cela ne crée pas d'énervement ou d'engueulade (comme on voit parfois en France, dans le métro). Au contraire, c'est même une certaine proximité, voire fraternité, qui s'installe entre les gens.
Une vieille dame assise prend le bébé d'une mère debout, sur ses genoux.
Un vieux monsieur me laisse s'asseoir sur sa valise dans le couloir et me tient par l'épaule. Il me raconte plein de choses en indien. Je n'y comprend pas un mot, mais il a l'air sympathique !
J'arrive exténué à Jodhpur. L'auberge est quasiment vide.
J216 - Jeudi 27 avril
Réveillé au petit matin, je profite de mon avance sur le soleil pour aller me balader dans les rues des Jodhpur, la ville bleue.
J'aime beaucoup ces moments matinaux, où je découvre l'éveil d'une ville. Jodhpur est plein de petites rues assez charmantes. Néanmoins, j’ai du mal à me détendre. Les klaxons heurtent toujours autant ma sensibilité auditive. Les chiens errants me terrifient toujours autant, bien qu’ils ne soient, à priori, pas agressifs.
Je pars en vadrouille l’après-midi, appareil photo en main. C'est là que la magie opère.
En passant dans une rue, une famille me demande de venir les prendre en photo.
Ensuite, une mère de famille me propose de m'arrêter et m'offre un Chai (un thé au lait sucré dont les indiens raffolent).
J'enchaîne ensuite avec un peu de street photographie. Si je veux des photos marquantes, je n'ai pas le choix :
➡️ Je dois m'intégrer dans l'harmonie du monde qui m'entoure
Mes pensées laissent place à ce qui compte vraiment : ma connexion avec avec les autres.
Je dois observer, ressentir et anticiper la future scène à capturer.
Être prêt à saisir l'instant, pour le rendre éternel.
Tellement de choses se passent à chaque coin de rue, à chaque centième de seconde. Je pourrais me poser dans un coin toute une journée, qu’aucune photo ne se ressemblerait.
Je parle à tout un tas de passants, tous plus aimables les uns que les autres.
Cette chaleur humaine fait du bien.
J217 - Vendredi 28 avril
Journée sortie de zone de confort. Je veux rencontrer le peuple bishnoi (qui suit une branche écologique de l’hindouisme).
Pas le choix, il faut prendre un scooter. J'en loue un en plein centre ville.
Ça commence fort.
Au bout de 3 min de prise en main approximative, mon scooter ayant des hanches plus larges que je ne l’imaginais, je dégomme littéralement une moto garée sur le côté. Des cris affolés d’hommes accompagnent la chute de la bécane sur le sol.
Je m'arrête tout tremblotant et m'excuse platement. Heureusement, le gars n’en fait pas un foin. Je l'aide à remettre sa moto sur pied, "c'est OK".
Ouff. Je continue.
5 min après je passe dans la rue bondée du marché. Je double un homme à moto qui s'arrête devant moi. Rebelote, mauvaise appréciation de la largeur, je le percute aussi. Plus légèrement cette fois-ci, je m'excuse. Ça passe.
Je pars donc pour 45 minutes de route à scooter sur les routes du Rajasthan, avec l'habileté d'un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Le stress est à son comble.
J'arrive sain et sauf au village. Le propriétaire du Homestay m'accueille chaleureusement. Je me délecte d'un plat local succulent.
Puis, c'est partie pour une après-midi visite culturelle, à la découverte des cultures autochtones.
D’abord, une fabrique d’ustensiles en poterie.
Mon accompagnateur m'explique le processus de fabrication à partir d'argile et de cendre. Ils s'en servent pour conserver l'eau au frais. Un pot exposé en plein soleil sous 35°C offre une eau tout à fait fraîche. Magique.
Ce savoir-faire est probablement amené à disparaître ici. La nouvelle génération ne veut plus effectuer ce travail éreintant.
Je rencontre ensuite un membre du peuple bishnoi. Ce peuple suit 29 principes écologiques tels que : interdiction de couper des arbres, pratiquer le pardon avec cœur, être compatissant envers tous les êtres vivants….
Malheureusement, il ne parle pas un mot d’anglais, je n’aurai donc pas l’interview espérée.
J'assiste cependant à la préparation d’une boisson à base d'opium en vue d'une fête locale !
Je suis enchanté par cette journée riche en découverte de savoir-faire locaux.
Une fois rentré, j'apprends en discutant avec l'agent de mon auberge que l’employé du Homestay, pourtant si charmant, m'a fait largement surpayer…
J218 - Samedi 29 avril
Je me balade dans la ville de Jodhpur. C’est frustrant. Je tombe le plus souvent sur des gens bienveillants qui sont en recherche de contacts humains et d’échange. Mais parfois, c’est juste quelqu’un qui veut me soutirer le maximum d’argent possible.
Je réalise que vadrouiller en Inde implique de jongler entre 2 attitudes contradictoires :
Être sur ses gardes : être conscient que l’on peut tenter de vous arnaquer à tous moments, se méfier des beaux parleurs, rester ferme.
Lâcher prise : il faut se défaire de tout jugement et accepter le bruit, les sollicitations et le fait d’être vu comme une source de revenu potentielle.
En prenant du recul, je réalise qu’au vu des inégalités de revenus, c’est compréhensible. J’ai choisi l’Inde en conscience, je viens d’un pays riche, cela fait partie du jeu. Ça n’est finalement pas grand chose, comparée à la violence physique que peuvent subir certains voyageurs dans d’autres pays.
Quoiqu’il en soit, c’est un bon apprentissage : cela m’entraîne à accepter et comprendre les conditions d’un environnement que je ne maîtrise pas.
J219 - Dimanche 30 avril
Je prends le train au petit matin pour Jaisalmer. Une petite ville aux portes du désert, non loin de la frontière pakistanaise.
Je réserve une chambre privée dans une Guest House, pour recharger les batteries.
Je suis accueilli comme un roi : l'agent de l'hôtel vient me chercher à la gare, on m'offre le thé.
Très vite, celui-ci me parle d'une excursion dans le désert sur 2 jours. Les touristes viennent ici surtout pour ça et je compte aussi bien entendu vivre cette expérience.
Son argumentaire de vente est alors réglé comme du papier à musique. Il utilise toutes les techniques de persuasion :
1️⃣ Il prend d’abord le temps de lister tous les bénéfices et commodités incluses dans le désert.
Le but : faire paraître son offre comme irrésistible.
2️⃣ Storytelling : il me présente son histoire : c'est un homme du désert, il a grandi là-bas etc.
Le but : ajouter une touche émotionnelle.
3️⃣ Choix forcé : il me demande quel est mon choix. Excursion sur 2 jours ou 3 jours ?
Le but : me faire oublier que j'ai la possibilité de ne pas réserver.
Je lui indique que je souhaite prendre mon temps, je verrai plus tard.
Il me donne 3h pour prendre une décision, qu'il puisse s'organiser.
4️⃣ L'urgence : la pression temporelle m'oblige à prendre une décision.
Le but : me faire ressentir le fameux FOMO (= la peur rater quelque chose).
Je comprends également que l'accueil chaleureux du début cherche à jouer sur :
5️⃣ Le biais de réciprocité.
Le but : me créer une dette psychologique. Je me sens redevable du fait qu'il soit venu me chercher à la gare et m'ait offert le thé.
Heureusement, j'ai réussi à gagner du temps pour ne pas me faire avoir : c'était le double du prix normal. Je finis par accepter un compromis à un prix plus raisonnable.
Demain, direction le désert 🌵
La ressource de la semaine : le livre “Sapiens : une brève histoire de l'humanité” de Yuval Noah Harari. C’est un classique, sorti il y a une dizaine d’années, que je suis en train de lire. Comprendre l’Évolution me semble très éclairant sur nos comportements et notre fonctionnement sociétal.
PS : Merci d’avoir pris le temps de lire mes aventures 🙏 Si cela vous a plu, vous pouvez cliquer sur le petit ❤️ juste en dessous du titre de cet e-mail, laisser un commentaire ou à me faire un retour par mail/message privé 💬
Bravo : style clair et enjoué, à la fois peu de mots mais agencés de manière à nous faire vivre l'action en direct. C'est à chaque fois un vrai scénario ou un " didascali" pour acteur. Quelles aventures !! Take Care. Éric
Tout top Eliott !! Un plaisir encore !!! 😀😀😀